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Rentrer chez soi

MARC 2, 1-12


Avec ce récit dans l’Evangile de Marc, nous sommes à Capharnaüm là où Jésus a commencé sa mission (1,21). La maison où il se tient est probablement celle de Simon et d’André (1,29). Jésus est entouré, pressé par une foule nombreuse. On lui amène un homme paralysé.

Il est d’abord un homme. Il ne se confond pas avec sa maladie. Il est plus que cela. Il a une identité.


Ceux qui le portent ne sont arrêtés par aucun obstacle : ils ne peuvent pas entrer par la porte, ils entreront par le toit. Même si ce n’est ni facile, ni habituel. Les toits des maisons en Palestine étaient en bois et terre battue. Ils ont dû monter sur le toit, peut-être par un escalier extérieur, défaire la couche d’argile pour ouvrir un passage, descendre le brancard avec des cordes dans le trou, jusqu’à le faire arriver juste au milieu, devant Jésus.


Ce que Jésus prend en compte, c’est cette action concertée et déterminée de ces quatre amis, une action qui ne se laisse arrêter par rien. Ils ne se préoccupent pas de ce que les autres peuvent penser, ni de ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Jésus voit la foi de ces quatre hommes. Une foi en paroles et en actes qui dit aussi la créativité d’une amitié, d’une solidarité où ils peuvent se porter mutuellement.

Les amis disent par leur geste ce que l’homme ne dit pas. Par leur intermédiaire il demande à être guéri. Il fait confiance à la solidité des cordes, à la fidélité des quatre hommes qui ne vont pas le lâcher. Mais il ne fait rien et il ne dit rien.

Nous savons qu’il n’est pas toujours facile de vouloir réellement guérir de certaines blessures intimes qui ont des retentissements jusque dans notre corps.

« Quand la bouche ne peut dire, c’est le corps qui parle ! » écrit Claude Flipo.


Et Jésus, en plus de guérir et d’enseigner, lui pardonne ses péchés. Ce n’est pas la guérison du corps qui vient en premier, mais cette Parole : « Tes péchés sont pardonnés. »

La Parole de Jésus touche l’homme paralysé en ce point sensible où la santé de la personne a une dimension spirituelle. Jésus va commencer par l’essentiel, il va le guérir, mais d’abord en lui-même, en cette très essentielle santé de l’âme.

Souvent dans les Evangiles la guérison physique est reliée à la guérison spirituelle. Laguérison du corps est signe de la guérison psychique et spirituelle.

Là aussi, nous avons besoin d’être guéris et ré-informés. Le péché en Grec veut dire : manquer la cible, être à côté de soi-même, manquer son être véritable.

Jean-Yves Leloup : « Ainsi le péché est une maladie de l’Etre, une déformation de notre nature véritable caricature de notre vrai visage. Etre ré-informés à ce niveau, c’est retrouver notre centre, retrouver la  Communion de l’Unité avec Dieu… Il est plus important d’être en bonne santé à ce niveau là qu’au niveau corporel ou même psychique. La guérison du corps est donnée comme signe, mais l’important, c’est la guérison du cœur. »


Capharnaüm signifie « maison de la compassion » en Hébreu. Le pardon nous recrée, il est un appel à nous lever, à marcher et à rentrer chez nous, guéris et unifiés dans la totalité de notre être. St Paul nous dit dans le passage de la lettre aux Corinthiens 2 Co 5,17 : « Si donc quelqu’un est dans le Christ, c’est une création nouvelle : l’être ancien a disparu, un être nouveau est là. »

Carlo Maria Martini : « En dépit des zones d’ombre de la situation contemporaine de l’homme, de la tragédie humaine nous environnant, des épreuves de l’Eglise, des situations presque absurdes dans lesquelles le monde se trouve plongé et où nous pouvons également nous retrouver, il existe au fond de tout un « Evangile ». Un Evangile qui assure qu’il y a une raison lumineuse et vivifiante à toutes ces choses. Il nous faut simplement la saisir et nous laisser transformer par elle ».


Aussitôt que la Parole forte de libération de Jésus est dite, certains commencent à « penser en eux-mêmes ». Ce sont les scribes et les pharisiens. Jésus les invite à s’interroger sur eux-mêmes, sur les pensées qui les habitent : «Aussitôt, se rendant compte intérieurement qu’ils pensaient ainsi en eux-mêmes, Jésus leur dit : pourquoi de telles pensées dans vos cœurs ? »

Lui est le tout Autre, autre que la manière humaine, naturelle et spontanée de penser : (Is 55). En Romains 12,2 : « Ne vous modelez pas sur le monde présent mais que le renouvellement de votre jugement vous transforme… »


Quel est le sens de cette parole cachée, non verbalisée, pour que le Christ les interpelle ? Il les conduit à interroger leurs pensées, d’où viennent-elles ? D’un ailleurs, d’une anti-parole, d’un silence qui ouvre au large ou qui enferme ? Ces pensées paroles veulent-elles le bien, la création, nourrir le lien et la confiance ? Ou isolent-elles ? Est-ce que ces pensées gardées en eux-mêmes rendent libre, heureux, ouvert pour vivre un dialogue libérateur ?


Ignace de Loyola nous rend attentif au déroulement des pensées et à ce qu’elles produisent.

Si nous nous abandonnons aux pensées, sans aucune résistance, si nous leur permettons d’orienter notre manière d’agir, elles peuvent nous conduire dans des chemins de traverse. L’ennemi a constamment soin de nourrir en nous une sorte de tourbillon de pensées confuses. Ce qu’il aime surtout c’est de provoquer des humeurs changeantes.

Evagre le Pontique : « Sois le portier de ton cœur et ne laisse aucune pensée entrer sans l’interroger ; interroge-les une à une, dis à chacune : « Es-tu de notre parti ou du parti des adversaires ? Et si elle est de ta maison, elle te comblera de paix. Si elle est de l’adversaire, elle t’agitera de colère ou te troublera de désir. Il faut donc scruter à tout instant l’état de ton âme ».

C’est une clé de lecture qui nous permet d’accéder à nos mouvements intérieurs et à plus de liberté : Cette pensée conduit-elle à la sérénité, à la paix, au courage ou à la confusion, au désordre, à la tristesse, à la déception ? Nous pouvons veiller à ne plus accueillir, ni entretenir des pensées qui nous troublent, nous attristent, nous isolent et nous replient sur nous-mêmes.

Nos pensées ont des conséquences sur nous-mêmes, sur les autres, sur le contexte dans lequel nous vivons. Chacun est responsable du climat qu’il crée autour de lui.

Nous sommes appelés à les discerner, à interroger nos pensées : d’où viennent-elles, où est-ce qu’elles me mènent ? Nous demander en quoi elles sont en cohérence avec les valeurs de l’Evangile, avec le désir de Dieu sur la vie, en quoi elles sont bonnes, et de quelle façon elles sont bénéfiques pour notre vie ?

La pensée est comme une semence : est-ce qu’elle est porteuse de fruit ? Souvent elle suit inconsciemment tel ou tel préjugé et des projections inconscientes. Notre pensée se traduira dans nos paroles, nos expressions, nos actions et nos oublis.


« Ils font descendre le grabat où gisait le paralytique. » Le défi de passer à travers un toit peut être insurmontable. D’autant plus que cet homme descend seul, ses amis ne descendent pas avec lui. Ne devra-t-il pas descendre au fond de lui-même ? Une descente au travers de quelque chose de figé, de dur, d’enfermant et de résistant, pour arriver « au milieu », au centre de lui-même, là où Jésus va le rencontrer.

C’est peut-être l’histoire d’un homme qui accepte une démarche risquée – il va passer seul par un trou noir - pour trouver son unité, son intégrité. Sous la terrasse de branchages et de terre, là où il y a une ouverture, il y a quelqu’un. Un tout Autre avec qui on se rencontre, tel que l’on est, restauré dans son être profond. C’est finalement un face à face dans l’altérité.

Il s’agit de retrouver là notre axe, notre centre : traverser les rigidités, les fixations, ce qui est obstacle à notre liberté, tout ce qui empêche de vivre et d’accéder à qui nous sommes.

La guérison est le signe de la liberté qu’apporte Jésus. Il remet debout, délivre de la paralysie du cœur. Il veut chaque homme vivant, libre, debout.

Il l’ouvre à un avenir : Il lui rend sa liberté, celle de décider lui-même. Il ne force pas et n’impose rien : il sollicite la liberté de l’homme.

Viktor Frankl : « C’est le fait d’exercer cette liberté qui fait de nous des êtres pleinement humains. On peut tout enlever à un homme, excepté une chose, la dernière des libertés humaines : celle de décider de sa conduite, quelles que soient les circonstances dans lesquelles il se trouve».


Au plus profond de nous, nous pouvons être paralysés par des croyances limitantes qui nous empêchent de vivre dans la liberté que nous offre le Christ.

Guérir d’un obstacle intérieur, de peurs qui nous replient sur nous-mêmes, qui nous empêchent de trouver la joie, de pardonner, de nous libérer, de nous risquer, n’est pas une petite aventure. Nous y tenons parfois si fort, pour les bénéfices secondaires dont nous avons peu conscience, que nous les alimentons de pensées, de convictions ou de prétextes qui troublent la paix du cœur.

Si nous restons paralysés, nous sommes dispensés d’assumer la responsabilité de notre existence et de nous-mêmes. Ce peut être un bénéfice secondaire.

Marcel Neusch : « Rien ne peut annuler la liberté, sinon notre propre refus d’assumer la part de responsabilité qui nous incombe ».


« Lève-toi, prend ton grabat et rentre chez toi». La Parole de Jésus va permettre à cet homme de sortir de son balancement entre la vie et la mort, de cette partie de lui où il s’est immobilisé, où il s’est fermé, où il est paralysé, où la vie ne circule plus.

Il lui dit « Lève-toi ! » C’est le mot de la résurrection. Cette Parole le pénètre au travers des obstacles, par-delà les murs des résistances. Et aussitôt il recouvre la santé : il prend son grabat et il marche. Il gisait et il se lève. Il sort, il se fraie lui-même un passage en homme libre vers sa maison.

Ce grabat symbolise que son passé n’est pas aboli, effacé mais que désormais il avance, il se met en route avec toute son histoire et qu’il rentre chez lui. La vie revient là où elle était arrêtée ; des traces, des marques vont peut-être demeurer dans le corps, des fragilités dans le psychisme, des difficultés dans la relation, mais on est debout, vivants, prêts à vivre dans notre identité profonde, avec tout qui peut être déployé.

Il s’agit de laisser ce flux de vie renouvelée pénétrer tout ce qui en soi a besoin de revenir à la vie.

Ce n’est plus le grabat qui le porte, mais lui qui porte son grabat. Emporter son grabat, c’est garder mémoire de ce qui est arrivé, de la rencontre avec Jésus, afin qu’elle devienne une histoire sainte, autrement dit, une histoire réconciliée, habitée d’une Présence guérissante et libératrice.


« Il se leva et aussitôt, prenant son grabat, il sortit devant tout le monde. » Cet homme existe comme sujet avec ses ombres et ses lumières et debout, il fait face aux autres.

Les raisonnements, les normes convenues, les opinions courantes, les pensées qui enferment, ne lui font pas peur. Il s’est levé, il marche. Cet homme n’est plus paralysé, coupé de Dieu, des autres et de lui-même, il est relié, en chemin de tout son être.

C’est l’histoire d’un homme qui trouve progressivement sa place. Il dépendait de son dysfonctionnement, des autres, et il en arrive à se prendre en charge lui-même avec toute son histoire, à se mettre debout, à trouver son être libre parce qu’il a répondu à un appel à se lever, à vivre.

Marc nous raconte l’histoire d’un homme paralysé qui accède à une guérison de toute sa personne. Cet homme devient libre dans la reconnaissance et la joie d’être « dans sa maison », pleinement chez lui.


« Jamais nous n’avons rien vu de pareil » : Tous le disent, aussi bien cet homme, que les porteurs en chemin, que les autres, paralysés par les pensées normatives, les convictions limitantes, les idéaux de pureté morale ou religieuse.

Ils ont vu des choses contraires aux opinions courantes. Un ordre établi se trouve bouleversé. Nous sommes bien loin des discours moralisateurs qui excluent tous ceux qui cheminent en dehors des règles.

Cela dépasse leur compréhension naturelle immédiate. Ils sont délogés, comme retournés en eux-mêmes ou vers eux-mêmes. C’est le mouvement de toute naissance.


La Parole du Christ : « Lève-toi », s’adresse à la totalité de notre être. Elle nous donne de nous ouvrir aux possibles de l’aujourd’hui vers le demain, elle donne Vie à l’écoute de notre Appel dans une liberté intérieure et une joie d’autant plus profonde qu’elle naît d’une expérience de descente en nous-mêmes, au milieu, là où Jésus nous rencontre.

Avec lui il est possible de sortir de ce qui enferme et paralyse. Il nous conduit à la plénitude de notre être habité par le Souffle, par la présence de l’Esprit.


La joie de l’Evangile est la joie de celui qui se sent libéré, délivré, sans crainte ni entrave car il a trouvé la plénitude de la vie. Elle est celle ressentie par l’homme qui naît enfin à lui-même. En Eph 4, 22-24 Paul nous y appelle : «vous renouveler par une transformation spirituelle de votre jugement et revêtir l’homme nouveau ».


Pour relier la Parole à notre vie :

  • « Jésus annonçait la  Parole » : Quelle est la(les) Parole(s) qui dans ma vie est soutien, appui, a ouvert un chemin, a provoqué une mise en route, une libération, est appel à me lever, à davantage de vie ?

  • L’accès à Jésus est difficile à cause de la foule : Comment me parle la foi des quatre hommes qui trouvent une voie d’accès à Jésus surprenante et créatrice, sans souci du conformisme ? Est-ce que ces obstacles symbolisent quelque chose sur mon chemin ? Quelles sont ces personnes dans ma vie qui m’ont conduit à Jésus ?

  • Ils ouvrent le toit, descendent le grabat, au milieu, devant Jésus. Comment, ce passage à travers le toit me parle-t-il ? Que symbolisent ce toit, cette descente pour arriver « au milieu », là où Jésus rencontre cet homme ?

  • «Aussitôt, se rendant compte intérieurement qu’ils pensaient ainsi en eux-mêmes, Jésus leur dit : pourquoi de telles pensées dans vos cœurs ? » Il nous conduit à interroger nos pensées, d’où viennent-elles, où mènent-elles ? Comment cette Parole qui invite à plus de liberté me rejoint ?

  • « Lève-toi, lui dit Jésus, prend ton grabat et marche » Laisser retentir cette rencontre, les Paroles de Jésus. Me souvenir de telle ou telle Parole, de tel événement qui ont fait naître en moi quelque chose de nouveau, qui m’ont appelé à la vie : des moments de recréation, de libération, où je me suis levé dans la reconnaissance et la joie d’être « dans la maison », pleinement chez soi.

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