top of page

Nos terrains de vie


MATTHIEU 13,3-9 et 18-23


La première partie de la parabole se polarise, attire notre attention sur le sort de la semence, tandis que l’explication qui suit s’intéresse à la qualité des terrains. Il y a comme un déplacement avec cet avertissement :« Celui qui a des oreilles qu’il entende » v. 9  Et au verset 18 Jésus nous invite de nouveau à écouter : « Vous donc, écoutez ce que veut dire la parabole du semeur ».

C’est une invitation à distinguer les différents terrains de vie qui sont en nous et, en passant de l’un à l’autre, à identifier les obstacles que la Parole doit vaincre pour que nous l'écoutions et qu’elle germe dans notre cœur. Le texte est rythmé par : « L’homme qui entend la Parole. »

Ces obstacles sont certaines réalités qui viennent de notre histoire. Elles peuvent exercer leur influence d’une manière ou d’une autre, sans que nous nous en apercevions car elles n’arrivent pas encore au seuil de la conscience.

Evagre le Pontique : « Si tu veux connaître Dieu, commence par te connaître toi-même ».


Jésus est installé dans une barque et fait face aux foules. Il parle du semeur au travail : Une partie des grains semés, tombe sur le chemin, sur un terrain rocheux et dans les buissons épineux. D’autres sur la bonne terre. En nous cohabitent ces différents terrains de vie.

Le grain qui tombe le long du chemin : sans repos, ni profondeur, tout y reste à la surface, en vue. La parole de Dieu ne peut pas y pénétrer. Ce sont les obstacles du début, du seuil ; ils ne nous permettent pas de nous mettre en route. Par exemple il peut y avoir des obstacles de divertissement, des résignations, des indécisions qui empêchent d’aller de l’avant. La crainte de ces premiers pas peut nous faire rester à l’extérieur.


Le terrain rocheux, qui n’a pas beaucoup de terre et qui est peu profond. Le grain lève tout de suite, il germe sans attendre, à cause du peu de terre. La petite semence qui naît aussitôt ne fait pas de racine. Mais le soleil est monté nous dit le texte. Lorsque vient cette brûlante chaleur de la Palestine, le terrain en est comme embrasé. Il y a brûlure en nous lorsque quelque chose commence par réussir, le grain lève aussitôt,puis, à un certain moment, nous échappe et se dessèche, devient stérile. Jésus nous dit que « cet homme n’a pas de racine en lui-même. »

Le manque de racine rend instable : nous passons par des hauts et des bas, nous perdons notre élan, nous nous décourageons. Le découragement conduit à la crainte, il affaiblit, il peut conduire à reporter les choses et à tout abandonner. Peut-être allons nous encore de l’avant mais avec peu de confiance. Les pensées de découragement conduisent à la conclusion suivante : «Tout cela est inutile, je me trompe complètement, à quoi cela me sert-il ?»

Le terrain rocheux, c’est l’image de ceux que la Parole remplit d’enthousiasme « pour un moment », mais qui manquent de persévérance : elle ne pénètre qu’au niveau superficiel, souvent des idées ; le fond du cœur n’est pas atteint.

Michel de Gigord : « La plus grande distance que vous pouvez traverser, ce n’est pas les milliers d’années lumière qui séparent la terre du firmament mais les 20 cmqui séparent votre tête de votre coeur. »


La semence qui tombe sur la pierre, c’est aussi symboliquement, l’inattention, le manque de vigilance. L’attention, elle, est un tressaillement du cœur, elle est écoute de la source jaillissante qu’est l’Esprit Saint, une écoute de tout l’être. Marie à l’Annonciation, puis à Cana est sensible à l’instant, elle est à l’écoute, attentive aux situations concrètes, aux personnes et aux choses.

Qu’est-ce qui est obstacle en nous à cette attention, à cette écoute ? Il peut y avoir des paroles en nous qui nous encombrent et freinent la vie : Ces paroles peuvent prendre la forme de convictions : (c’est ainsi, on a toujours fait comme ça…) d’injonctions (tu dois),  d’interdictions (il ne faut pas que), qui éteignent le désir profond qui nous habite,  de pressions (ça ne marchera pas), certaines suggestions (Je n’y arriverai jamais, je n’ai pas le temps, je n’ai pas la compétence, je me trompe complètement, ce n’est pas comme cela qu’il faut agir, cet appel est-il utile ? que va-t-on en dire ?) ou encore il peut y avoir en nous des empêchements intérieurs : d’être heureux, d’exprimer ses émotions, d’agir, de penser, de créer.

Tout ce qui nous empêche d’habiter notre propre terre intérieure et qui rend difficile le chemin de la vie, tout ce qui bloque notre désir d’attention, nous retient et nous paralyse et nous empêche de vivre vraiment. La vie ne se déroule plus normalement parce qu’il est très pénible de vivre avec de tels blocages

Jacques Philippe : « Une vérité anthropologique simple mais fondamentale est la suivante : l’homme vit des paroles qui l’habitent. Notre mémoire consciente et inconsciente est comme un réservoir de paroles lesquelles induisent nos comportements et façonnent notre identité. Nous portons tout un discours intérieur, plus ou moins conscient, qui a un rôle déterminant dans nos relations avec le monde, avec nos proches, avec nous-mêmes. Ces paroles et discours se sont incrustés en nous par des voies bien diverses. Ce sont des mots qui nous ont été dits alors que nous étions petits enfants et qui se sont imprimés en nous. Ce sont aussi des bribes de ce flot continuel de paroles que véhiculent la vie sociale et les médias, qui ont réussi à se nicher dans notre mémoire profonde ».


Qu’est-ce qui favorise en nous l’écoute ? Ce que l’on peut appeler une qualité de présence au réel de notre terre, en dialogue avec tout ce qui est et qui fait partie de notre vécu, de notre histoire : Ce peut être la capacité de s’émerveiller, celle de faire mûrir le discernement dans le calme, l’absence de précipitation… Qu’est-ce qui nous aide : la musique, le silence, la danse, l’écriture, certains lieux, la solitude, l’amitié, la méditation de l’Evangile… C’est une manière d’être attentif à ce que nous vivons et la manière dont nous le vivons. L’écoute intérieure, c’est aussi savoir prendre de la distance entre soi-même et les événements C’est l’écoute intérieure du retentissement des événements que nous vivons.

Stephen Covey : "Ecouter vraiment, ce n’est pas écouter seulement avec vos oreilles, mais aussi et combien plus important, c’est écouter avec vos yeux et votre cœur, c’est chercher à entendre le ressenti, le signifié ."


L’écoute se prolonge dans la mémoire qui rappelle la Parole et les évènements, les rumine, les comprend jusqu’à découvrir la signification de ce qui nous arrive. Nous avons besoin à la fois d’écoute et de mémoire pour que les choses deviennent un ensemble qui a un sens.

Luc 2,19 et 51 : « Marie conservait avec soin toutes ces choses et les méditait en son cœur ».

Pour Etty Hillesumce lieu du cœur – ce lieu « où nous sommes chez nous » comme l’écrit Francine Carrillo – ce lieu est ancrage, refuge. Elle l’appelle « écouter au-dedans : continuer à aimer, à être à l’écoute de soi-même, des autres, de la logique de cette vie et de toi… De fait ma vie n’est qu’une perpétuelle écoute « au-dedans » de moi-même, des autres, de Dieu… »


Nous sommes invités à nous tenir en « Annonciation ». Autrement dit de telle manière que nous aussi nous puissions écouter au-dedans. Ecouter comme Elie le bruit de la brise légère de la présence de Dieu, ou comme Elisabeth à la Visitation, le tressaillement d’allégresse de la Visite du Verbe lors de sa rencontre avec Marie.

Il est important pour cela de choisir et de mettre des temps à part pour dialoguer de façon approfondie avec la Parole, avec les événements, pour découvrir comment Dieu me parle et me fait signe.


Autrement dit de préserver la dimension du cœur, de la profondeur à l’image de l’arbre du Ps 1 qui plonge ses racines vers le courant : « Heureux l’homme… il ressemble à un arbre planté au bord des eaux, qui tend ses racines vers le courant ». Les racines sont cachées mais elles donnent à l’arbre tout entier son caractère et son identité. Parfois un travail de traitement de racine est nécessaire pour que l’arbre retrouve sa stabilité, planté en une terre profonde et fertile.

Les racines : D’où je viens, d’où je tire mes forces, ma sève, ce qui me fait vivre et qui est nourriture. Qu’est-ce qui est source de ma vitalité et de ma stabilité. Quelles sont mes terres de vie, où je suis passé qui m’ont donné vie et force.

Comment prenons-nous soin de nos racines ? Tant que la racine existe il y a de l’espoir pour la vie de l’arbre. Job 14,7-9 « Car il y a de l’espoir pour un arbre : s’il est coupé, il repoussera encore, et ses rejetons ne cesseront pas. Si sa racine vieillit dans la terre, si son tronc meurt dans la poussière, dès qu’il flaire l’eau il poussera et il fera des branches comme un jeune plant.


Est-ce que nous exerçons notre mémoire de l’écoute, nécessaire pour saisir le sens des événements. Car souvent nous vivons une vie compartimentée en ayant du mal à la percevoir comme une totalité, comme une histoire qui a du sens, une cohérence, une unité et qui a une orientation.

Philippe Gagnebin : « Le présent de ma vie est enraciné dans son passé. Il n’y a rien de plus grave pour un homme que de se déraciner, en se coupant de tout ce qui l’a conduit à ce moment présent où ses actes, ses engagements, son silence et ses paroles, son attitude et ses gestes, ses réussites ou ses échecs, sont tramés par son passé. Il y a là une forme de continuité, une ébauche de fidélité : dans la mesure où toute fidélité personnelle est d’assumer son présent relié à ceux et celles qui nous ont permis d’être ce que nous sommes aujourd’hui. »


Pour relier la Parole à ma vie :

  • Qu’est-ce qui favorise en moi l’écoute intérieure, quelle est ma manière d’être attentif à ce que je vis et comment je le vis : par le silence, par l’écrit, la musique, l’écriture, les lieux, la relation à l’autre…Quelle est mon attention aux temps d’arrêt pour me retrouver, pour écouter et relire le vécu, pour le déchiffrer et chercher un sens.

  • Quelles sont mes ressources, à quel courant d’eau vive je suis relié et qui irrigue les racines de mon arbre. Quel sont mes lieux d’enracinement, d’ancrage et de stabilité où je peux m’appuyer sur un fondement solide. Qu’est-ce qui favorise le développement et la croissance de mes racines : Une ou des Paroles, une rencontre, un événement…

  • Qu’est-ce qui aurait besoin d’être enraciné davantage, consolidé, renforcé dans ma relation avec Dieu, à l’écoute de sa Parole

  • Est-ce qu’il y a des lieux de ma vie où je suis bien enraciné en profondeur, proche du courant d’eau vive, d’autres où je suis comme en dehors, à l’écart.

La connaissance de nos forces comme de nos fragilités nous permet de nous connaître mieux dans les différentes facettes de notre manière d’être et d’agir. Il nous permet d’être et de devenir ce que nous sommes.


La semence tombée sur la pierre représente aussi les rêveries qui manquent de réalisme.  Elles nous emportent ailleurs et ne sont pas suivis d’une action, d’une décision. Le retentissement des expériences vécues dans notre terre intérieure, peut devenir le lieu d’une rencontre, d’un retournement, d’une prise de conscience libérante, d’une expérience créative pour poser ensuite des décisions qui ouvrent un chemin de vie.

L’attitude de Marie est un équilibre entre l’écoute, la décision et l’action. Lors de l’Annonciation elle écoute, elle entend des mots et en même temps perçoit leur sens profond. Ce moment de la décision du cœur, c’est la racine du réalisme, le point central.  « Me voici, que se produise en moi ce que tu as annoncé » Lc 1,38.

L’agir qui va en découler n’est donc pas quelconque. Il se fonde sur la réponse à une demande, à un appel. Il va prendre, racine et forme dans la réalité du quotidien, il va exprimer concrètement ce que l’on a compris, ce que l’on a entendu : « Elle partit et se rendit en hâte dans une ville de Juda » Lc 1,39. Elle se rend en hâte : une décision prise dans le cœur ne peut pas attendre.


C’est important aussi pour les micro-décisions de notre vie courante : une lettre à écrire, une visite, un travail que nous devons terminer et que nous ne cessons pas de reporter…

Autrement dit c’est prendre soin de nos décisions, c’est être proche de notre vie et du sens que nous lui donnons. A travers nos décisions petites ou grandes, nous tissons la trame de nos vies, nous façonnons notre arbre de vie. Il nous arrive parfois de vivre sans décider. Ces retards, ces reports peuvent nous épuiser intérieurement. Et si nous ne décidons pas, c’est d’autres ou des événements qui décident pour nous.

Victor Frankl : « La meilleure façon de réaliser ses rêves, c’est de se réveiller. Autrement dit, pour faire partie de la solution, il faut passer à l’action ».


Comment surmonter ces obstacles communs à nous tous ? C’est normal d’être pris de découragement, de tensions internes, de peu d’enthousiasme, d’inattention, de suggestions négatives. C’est aussi normal que d’éprouver des résistances lorsqu’on fait une course en montagne : difficultés, fatigue, crampes, souffle court.

Ces hauts et ces bas, ces moments intenses et ces moments en creux, sont présents dans la vie spirituelle, parce qu’il s’agit d’une vie de relation à Dieu, aux autres et à soi-même. C’est vital, car ce sont ces moments là qui nous provoquent à nous interroger sur ce que nous sommes en train de vivre et comment nous le vivons. Ignace de Loyola appelle ces hauts et ces bas : moments de consolation et de désolation.


Quand nous sommes pris dans le découragement, le doute, la fermeture, la perte d’élan, Ignace nous rend alors attentifs au déroulement des pensées et à ce qu’elles produisent.

Les pensées négatives ressemblent à des rayons enflammés qui finissent par ôter le sens de tout. Si nous nous abandonnons aux pensées, sans aucune résistance, si nous leur permettons d’orienter notre manière d’agir, elles peuvent nous conduire dans des chemins de traverse. L’ennemi a constamment soin de nourrir en nous une sorte de tourbillon de pensées confuses. Ce qu’il aime surtout c’est de provoquer des humeurs changeantes. Cela nous alerte moins qu’une résistance à Dieu ou qu’un véritable péché.

Evagre le Pontique : « Sois le portier de ton cœur et ne laisse aucune pensée entrer sans l’interroger ; interroge-les une à une, dis à chacune : « Es-tu de notre parti ou du parti des adversaires ? Et si elle est de ta maison, elle te comblera de paix. Si elle est de l’adversaire, elle t’agitera de colère ou te troublera de désir. Il faut donc scruter à tout instant l’état de ton âme ».


C’est une clé de lecture qui nous permet d’accéder à nos mouvements intérieurs et à plus de liberté : Cette pensée conduit-elle à la sérénité, à la paix, au courage ou à la confusion, au désordre, à la tristesse, à la déception ? Nous pouvons veiller à ne plus accueillir, ni entretenir des pensées qui nous troublent, nous attristent, nous isolent et nous replient sur nous-mêmes. Cet exercice de vigilance nous invite à notre responsabilité par les actes qui en découlent. Car nos pensées ont des conséquences sur nous-mêmes, sur les autres, sur le contexte dans lequel nous vivons. Chacun est responsable du climat qu’il crée autour de lui.


Nous sommes appelés à les discerner, à interroger nos pensées : d’où viennent-elles, où est-ce qu’elles me mènent ? Nous demander en quoi elles sont en cohérence avec les valeurs de l’Evangile, avec le désir de Dieu sur la vie, en quoi elles sont bonnes, et de quelle façon elles sont bénéfiques pour notre vie, pour nos frères et sœurs.

La pensée est comme une semence : est-ce qu’elle est porteuse de fruit ? Souvent elle suit inconsciemment tel ou tel préjugé et des projections inconscientes. Notre pensée se traduira dans nos paroles, nos expressions et nos actions et nos oublis.

L'appel de St Paul prend toute sa force dans ce passage aux Romains : « Ne vous modelez pas sur le monde présent mais que le renouvellement de votre jugement vous transforme… » Ro 12,2.


Enfin il est nécessaire de s’exprimer, de se confier, de prendre conseil. Avons-nous trouvé un lieu d’écoute pour nous-mêmes. Le fait d’être écouté ouvre en nous un espace où nous pouvons essayer de trouver un sens à ce qui nous arrive. Etre écouté permet de prolonger le dialogue vécu lors de la situation d’écoute, c’est-à-dire d’aller au-dedans de nous-mêmes et de développer ainsi la vie intérieure.


L’obstacle du troisième terrain est défini de manière symbolique par l’image des épines :

Il est de s’inquiéter, de s’agiter, d’être comme entraîné : Les sollicitations, les occupations et les rencontres sont souvent nombreuses dans notre quotidien et parfois nous sommes anxieux de ne pas réussir à tout faire, encombrés par nos soucis. Cela peut conduire à la multiplication des activités.

Saint Paul parle de cette préoccupation qui ne nous laisse pas un moment de tranquillité qui nous permettrait d’être nous-mêmes.

Nous répétons l’attitude de Marthe qui veut servir à Jésus quelque chose d’extraordinaire mais qui ne voit pas que Jésus n’est pas venu chez elle pour avoir le repas le plus succulent, mais pour être écouté. Lc 10,38.


Lorsque nous sommes pris par des inquiétudes, des prévisions troublantes ou exaltantes, nous nous projetons dans le futur, sans vivre le présent. Le désordre devient conscient lorsque nous voulons vraiment prier, ou demeurer en silence dans la solitude.

Il est un des plus grands obstacles à l’écoute intérieure, au discernement parce que nous ne parvenons pas à nous livrer à une tranquille réflexion.

Comment s’acheminer vers la liberté du cœur, la paix intérieure, « l’écoute au-dedans, de nous-mêmes, des autres, de Dieu. » ?


Le moyen essentiel est d’être à l’écoute attentive de l’instant. Curieusement en Hébreu il n’existe pas de verbe être au présent. En Hébreu une exception est le plus souvent une invitation à la réflexion : ce vide est peut-être un appel à vivre le présent. Car le présent est le seul moment entre le passé – à dépasser – et le futur – inaccessible – où toute la vie nous est donnée, où nous pouvons être présents à nous-mêmes, à l’écoute de sa Parole qui nous fait signe et librement décider. Ce vide ouvre un espace, un terrain sacré,  lieu de la rencontre avec le Christ qui comme pour Elie passe en un Souffle fragile. Sommes-nous là, chez nous, offerts à cette visite dans la grâce de l’instant présent? 


Le premier appel que Dieu nous adresse, racine et fondement de tous les autres, c’est un appel à être. Nous sommes appelés à l’existence.

Autrement dit comment nous prenons soin du premier don qui nous est fait et qui est celui de notre vie ? Cette vie est toute intérieure, elle est de l’ordre de l’être. Elle est semence et germe semé dans nos différents terrains. L’accueillir, consentir à cette vie, c’est accéder à ce que nous sommes, habiter notre vie, y découvrir les signes de la présence de Dieu car Il est la Vie en nous.

K.G. Durkheim : « L’œuvre la plus importante de l’homme, c’est lui-même en tant qu’homme. Pour la réaliser, il doit se prendre comme un ouvrage entre ses mains, s’exercer sans cesse. »


Les obstacles représentés par l’image des épines signifient aussi nos blessures ; elles ne laissent pas lever la semence, elles l’étouffent.

Des blessures intérieures qui nous troublent et nous empêchent de vivre tranquillement, qui interfèrent dans les rapports avec les autres. Nous sommes parfois entravés par des réactions blessées qui nous empêchent de vivre dans la liberté que nous offre le Christ.

Toute blessure résiste à se dire parce qu’elle est douloureuse, parce que bien souvent nous avons mis en place autour d’elle des protections où l’on se met à l’abri des chocs en attendant des jours meilleurs… comme le fait la graine.

Dans notre vie certaines blessures de l’âme remontent souvent à bien loin : une injustice subie passée sous silence, un abandon qui nous déchire encore, des malentendus ou une brouille avec d’autres, une relation qui a pris autorité sur nous, une tristesse dont l’origine est introuvable et qui ne veut pas lâcher. Ces événements peuvent être à l’origine de souffrances, de fermeture où la vie ne vibre plus. Il se peut que nous restions noués à ce qui a été. Ce sont des lieux gelés, neutralisés qui n’ont pas encore franchi le seuil de la conscience. Peut-être que ce n’est pas le moment. Ne sommes-nous pas comme ces grains jetés en terre, qui enfouis, attendent souvent de pousser, de germer et qui guettent le moment propice pour « exister ».


Habiter notre terre intérieure, tous ces différents terrains, « rassembler notre cœur » comme le dit le Ps 86 est une présence à soi, une écoute intérieure bienveillante qui est hospitalité envers soi-même. Il s’agit de consentir à soi avec les bosses de son histoire, les conséquences de ses choix. Concrètement c’est accepter notre humanité avec ses ombres et ses lumières, nos fragilités et nos forces, nous accepter tels que nous sommes, précisément – tiraillé – habité par des désirs, des forces et des tendances contradictoires.

Henri Nouwen : Si nous voulons nous épanouir en tant qu’êtres humains, nous devons endosser la totalité de notre expérience ; en d’autres termes, l’être humain parvient à la maturité en intégrant dans son individualité à la fois les dimensions manifestes et les dimensions obscures de son existence. Eviter, nier ou éliminer les aspects douloureux de la vie conduit toujours, tôt ou tard, à la détresse physique, mentale et spirituelle ».


Le verbe écouter en Hébreu se dit shama, ce mot contient shem le nom. Autrement dit, si nous sommes dans l’écoute nous allons entendre notre nom. Pour les Hébreux le nom est l’essence d’un être. Le nom a une force, une dimension vibratoire très forte, il dit le sens de notre vie. Le nom peut aussi se prononcer sham, qui signifie là-bas. Autrement dit le nom porte notre vocation profonde qui est de nous mettre en chemin, de nous déplacer dans notre corps et dans notre cœur, d’être à l’écoute et d’aller vers nous-mêmes.


De Jésus on rapporte plus de guérisons que de pardons des péchés. Le Christ se tient là, de préférence en ces lieux où la vie semble arrêtée. C’est là, en ces blessures, en ces brèches ouvertes que sa Parole de Vie peut s’introduire. Là, nos maux auront un endroit sûr où être accueillis et une fois accueillis ils deviendront un terreau fertile pour une vie nouvelle, pour un nouveau départ. Notre responsabilité c’est de nous laisser travailler par les gestes et les paroles du Christ afin de devenir des vivants.


La plupart des grains tombent sur une terre fertileet y portent une riche moisson : chez l’un cent épis, chez l’autre, soixante, chez un autre encore, trente : L’intensité de la vie et de la fécondité. C’est le terrain du cœur profond.

Nous pouvons faire le lien avec notre vie et nous demander : Qu’est-ce qui germe, pousse. Est-ce que je peux déjà nommer ce germe, voir ses contours. Quelle est cette terre fertile Qu’est-ce qui grandit ou voudrait naître et grandir en moi. Qu’est-ce qui est fécondité, force dans ma terre et le terrain de ma vie.


Pour relier la Parole à ma vie :

  • Etre attentif à ces différents terrains de vie en moi. Comment ce texte biblique rejoint-il quelque chose de mon expérience, prend-il sens dans mon histoire, dans mon aujourd’hui.

  • Sur quelles solidarités humaines m’appuyer, quelles sont les relations qui sont sources de confiance et d’encouragement où je reprends force, qui ouvrent un espace pour « une écoute au-dedans, de moi-même, des autres, de Dieu. »

  • Prendre soin de mes décisions quotidiennes qui peu à peu me façonnent intérieurement. Elles répondent à la première des lois de vie : « Choisis la vie » Dt 30,19.Elles prennent source dans l’écoute attentive de l’instant, elles permettent d’être présent à ma vie et au sens que je lui donne.

  • Est-ce qu’il y a des moments de ma vie où je peux reconnaître que le Christ a semé et déposé la vie en moi : une Parole, des événements, rencontres, lieux…Comment j’ai reçu ce don de la vie, quelle est ma manière d’en prendre soin.

  • « Rassembler notre cœur » Ps 86  pour qu’un espace encore inexploré de notre terre intérieure s’ouvre. Quels sont ces lieux où la vie ne vibre plus où je peux laisser le Christ venir et agir.

  • Qu’est-ce qui grandit ou voudrait naître et grandir en moi. Qu’est-ce qui germe, pousse. Est-ce que je peux déjà nommer ce germe, voir ses contours. Qu’est-ce qui est fécondité, force dans ma terre et le terrain de ma vie.

Francine Carrillo : « Nous sommes des marcheurs de l’En-bas, mais traversés d’une racine de l’En-haut. Appelés à nous laisser enseigner par les hauts et les bas de la route et du compagnonnage, mais conviés à nous tenir quoiqu’il arrive « en annonciation », autrement dit de manière telle qu’à nous aussi le Verbe puisse arriver. Brise ténue passant comme pour Elie dans les interstices de nos déserts, ombre du Souffle couvrant Marie de promesse, colombe de l’apaisement aux jours de grand égarement.

Les visites divines sont multiples qui nous annoncent que la vie a réussi, qu’elle a gagné du terrain sur la mort et le non-sens. Mais sommes-nous encore chez nous pour percevoir le subtil tressaillement qu’elles inscrivent au creux de notre chair ? »

bottom of page